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Jeudi 27 mars 2025 - Blogue de Danse Danse
Le vendredi 21 mars 2025, à la Place des Arts, Danse Danse présentait Nuit, une œuvre de Jean-Pierre Perreault interprétée par la Compagnie de la Citadelle. Ce soir-là, c’était la troisième fois que les artistes montaient sur la scène du Théâtre Maisonneuve pour danser Nuit à Montréal. Mais cette représentation avait quelque chose de bien particulier… Dans la salle, 15 spectateur·rice·s ne regardaient pas le spectacle : ils/elles l’écoutaient.
Depuis 2021, Danse-Cité, en partenariat avec des diffuseurs culturels comme Danse Danse, rend les arts vivants accessibles aux personnes aveugles ou semi-voyantes grâce à l’audiodescription en direct: une pratique qui consiste à décrire oralement les éléments visuels et sensoriels d’une œuvre pour en permettre l’expérience à celles et ceux qui vivent avec des limitations visuelles. Complice de la première heure dans cette initiative, Danse Danse est le partenaire initial du projet d’audiodescription et Nuit est le quatrième spectacle de danse offert en audiodescription.
Les deux audiodescriptrices, Caroline Charbonneau et Emmalie Ruest, travaillent à temps plein pendant cinq semaines pour pouvoir audiodécrire un tel spectacle d’une heure et vingt minutes. Elles visionnent les vidéos, identifient les moments clés – éclairages, déplacements, mouvements, atmosphère – et traduisent la danse en mots. « On ne peut pas tout décrire », précise Emmalie. « Si je nommais chaque détail, ça prendrait trois fois plus de temps que le spectacle. On doit faire des choix, aller à l’essentiel. C’est une écriture concise qui insiste sur les verbes d’action et qui utilise un vocabulaire accessible à des personnes qui ne connaissent pas nécessairement le jargon de la danse. »
Le spectacle commence à 20 h, mais pour ce groupe de spectateur·rice·s aveugles et semi-voyant·e·s, l’expérience débute à 19 h. Danse-Cité leur propose un parcours complet : un atelier préparatoire, suivi d’une discussion avec les artistes après la représentation.
Mais, avant même le début de l’atelier, un moment important se joue : les retrouvailles. Certain·e·s se connaissent bien, alors que d’autres participent pour la première fois. Tous·tes sont accompagné·e·s d’une personne qui les guide dans l’espace, mais aussi dans l’expérience. Comme l’explique la participante aveugle Myra Hountondji : « c’est une occasion de revoir les ami·e·s et les connaissances que je me suis faites lors de ces sorties organisées par Danse-Cité. Ici, je me sens simplement moi-même et valorisée. Je sens qu’on prend soin de moi en tant que personne — et pour moi, ça compte beaucoup. »
Animé par les deux audiodescriptrices, l’atelier pré-spectacle permet aux participant·e·s de se familiariser avec l’œuvre. « On introduit le spectacle, on leur fait toucher des éléments de décor, des costumes… On les amène vraiment dans l’univers de l’œuvre », explique Caroline. Avant d’entrer en salle, ces spectateur·rice·s touchent une maquette tactile en 3D de l’espace scénique et du décor ainsi que les lourdes bottes de cuir portées par les danseur·se·s – un élément-clé de l’expérience, puisque le martèlement des pieds au sol constitue la trame sonore du spectacle. Guidé·e·s par les audiodescriptrices, ils reproduisent même certains mouvements présents dans Nuit. Pour Liliane Camargos, une spectatrice aveugle qui vit son premier spectacle de danse, l’atelier est essentiel. « Ça a tout changé pour moi. Les audiodescriptrices y expliquent les mots qu’elles vont utiliser pour décrire les mouvements. Quand le spectacle commence, je sais déjà beaucoup de choses. Ça me permet de mieux comprendre l’œuvre et de profiter pleinement du spectacle. »
Pendant la représentation, le groupe s’installe au parterre, réuni dans une même section. Muni·e·s d’écouteurs connectés à un téléphone intelligent, ils peuvent à la fois écouter la trame sonore du spectacle et les audiodescriptrices qui parlent. Une équipe assise tout proche du groupe veille à leur confort et est prête à intervenir en cas de problème technique.
« Assister à un spectacle en audiodescription c’est juste me sentir incluse dans la société, c’est me sentir considérée comme une personne à part entière et non entièrement à part. »
Les voir vivre le spectacle et y réagir avec autant d’émotion est profondément touchant. Leur gratitude envers ces expériences est palpable. « Assister à un spectacle en audiodescription c’est juste me sentir incluse dans la société, c’est me sentir considérée comme une personne à part entière et non entièrement à part. » confie Myra fidèle spectatrice avec Danse-Cité. Pour certaines personnes, cet accès aux arts de la scène est une découverte récente et change complètement leur façon de vivre la culture. « Quand je vivais au Brésil, je connaissais l’audiodescription pour les films et les séries, mais je ne savais pas que ça existait pour les spectacles. C’est toujours mon mari qui me décrivait ce qui se passait sur scène. Maintenant, je peux vivre ces moments par moi-même — et j’ai envie de venir voir tous les spectacles ! » raconte Liliane.
Ce soir-là, ces personnes aveugles et semi-voyantes vivent, elles aussi, pleinement cette œuvre marquante de Jean-Pierre Perreault. Aujourd’hui, les spectacles offerts en audiodescription par Danse-Cité rejoignent une soixantaine de personnes — une initiative significative quand on sait que plus de 200 000 Québécois·e·s vivent avec une limitation visuelle.